Si son nom de vous dit pas grand chose, c’est presque normal. En effet, Kongkiat Khomsiri n’est pas le plus connu des réalisateurs thaïs. Il fait partie d’une équipe de 7 réalisateurs appelée la “Ronin Team”. Leur dernier fait d’armes se dénomme Art of the Devil III, 3ème épisode d’une franchise horrifique bancale mais aux images bien dégueulasses lancée en 2004 par Tanit Jitnukul, réalisateur magique de Bang Rajan, chef d’œuvre barbare au scénario duquel avait collaboré un certain… Kongkiat Khomsiri, et voilà que tout s’éclaire. Sinon le réalisateur thaïlandais avait déjà eu les honneurs du marché français, sans passer par la case cinéma alors qu’il l’aurait amplement méritée (tout comme pour Slice d’ailleurs qui atomise nombre de thrillers mous du bulbe bien présents en salles), grâce à Boxers, drame et film de baston plutôt brillant. Slice c’est clairement un film atypique dans le paysage cinématographique thaïlandais, une œuvre choc autant sur le fond que sur la forme, qui ne cède devant aucune facilité et flirte sans honte avec les modèles du thriller coréen (de Memories of Murder à The Chaser) tout en y apportant une brutalité graphique avec peu d’équivalents, y compris en Asie. Noir, violent, ultra glauque et caustique, Slice est à la fois une enquête haletante, une romance contrariée et bouleversante, ainsi qu’un portrait rare de Bangkok qui réduit les tentatives précédentes au rang de vastes blagues tant la capitale y est décrite comme un purgatoire terrible où tous les vices sont permis. Si Slice n’évite pas quelques légères fautes de goût, on lui pardonne tout tant le film développe une puissance crépusculaire carrément tétanisante. Une enquête pas forcément très fine parfois mais qui glace le sang et ne recule devant rien.
Sur un scénario brillant tiré d’une histoire directement issue de l’esprit génial de Wisit Sasanatieng, réalisateur des non moins géniaux Les larmes du tigre noir et Citizen Dog, Kongkiat Khomsiri va développer pendant pas loin d’1h40 un récit de thriller pervers. Dans l’idée, rien de bien nouveau, car il s’agit tout simplement d’une enquête sous forme de course contre la montre pour attraper un serial killer. La première très bonne idée c’est de faire de ce serial killer un absolu du mal dans ses méthodes (il découpe ses victimes, fout les morceaux dans une valise rouge et les émascule) tout en lui faisant assassiner les pires ordures (violeurs pédophiles pour la plupart, dans un premier temps). Avec son look qui oscille entre le templier et le chaperon rouge, ses mouvements irréels et son goût prononcé pour les mises à mort bien trash, ce tueur/boogeyman en impose immédiatement tout en provoquant un réel attachement qui va aller crescendo. Mais en plus de cela, l’autre point intéressant est de faire mener l’enquête par un prisonnier.
Quelque part dans la formule on pense au Silence des agneaux qui faisait déjà intervenir un psychopathe dans la traque d’un autre psychopathe. Mais dans l’ambiance on en est très loin. On se situe plus du côté de Se7en dans l’ambiance la plupart du temps très glauque et un sens de la morale très discutable. À vrai dire Slice semble s’éloigner complètement de tout ce qui se ait en Thaïlande depuis quelques années, pour lorgner vers une composition entre le polar hong-kongais et le film de vengeance coréen, tout en se forgeant une identité propre que d’autres réalisateurs seraient bien inspirés de suivre. Le style coréen on le retrouve aussi bien dans le traitement de la violence à la fois sèche et opératique (avec une vraie tendance à la mystifier) que dans le pseudo-discours critique vis-à-vis des institutions, et en particulier de la police. Si on reste très loin de la charge opérée par Bong Joon-ho par exemple, on sent bien cette volonté de s’en approcher, ne serait-ce que de loin. Le tout avec un ton passablement plus libre, le réalisateur n’hésitant pas à ouvrir son film sur le meurtre d’un pédophile plein cadre, de quoi planter l’ambiance en assommant directement le spectateur. De politiquement incorrect il en est grandement question, de vengeance aussi, mais la surprise vient finalement d’une certaine émotion qui se crée à travers les romances étranges qui électrisent le film jusqu’à son final dans la plus pure tradition de la tragédie.
D’ailleurs à ce titre, le final sous forme de twist attendu (depuis Se7en il ne se tourne plus un seul thriller sans twist final) ne vient que ponctuer, habilement, ce qui restera avant toute chose comme une expérience visuelle démente. On pourra tout reprocher à Kongkiat Khomsiri, et en particulier son goût prononcé pour l’effet de style percutant, mais on peut aussi trouver ça fantastique. Il joue avec les textures d’images, utilisant parfois le noir et blanc ou l’image vidéo dégueulasse, et impose une utilisation du cinémascope qui laisse admiratif. Un jeu sur les flous, le mélange de grand angle et de contre-plongée qui rappelle les séquences les plus grandioses chez Johnnie To ou Soi Cheang, des ralentis sublimes comme à la grande époque du heroic bloodshed (avec une scène terrible dans un bordel), une gestion des grands espaces en provenance du western qui tranche avec l’oppression des décors urbains et surtout un travail pictural dément qui n’est pas sans rappeler les travaux de Dario Argento sur la symbolique des couleurs. Slice est une telle merveille visuelle qu’on lui pardonne sans remords ses quelques maladresses, notamment dans le jeu des acteurs parfois très approximatif.
Image : N’ayant pas pu voir le film sur grand écran, difficile de juger ce transfert qui s’avère extrêmement granuleux, à tel point que les images semblent y perdre en définition. Cela dit la gestion des contrastes et des couleurs est épatante, il fallait bien ça pour apprécier le film à sa juste valeur.
Son : Du DTS Master Audio en VO comme en VF, pas de jaloux. Les deux pistes permettent une belle immersion dans l’ambiance extrêmement travaillée de Slice, y compris sur le plan sonore. Toutefois comme sur beaucoup de productions asiatiques le doublage français est à proscrire, terriblement inférieur au mixage original.
Suppléments : Pour un direct-to-video il ne fallait pas s’attendre à une édition débordante. Pas grand chose à se mettre sous la dent si ce n’est nombre de bandes annonces et une featurette de 16 minutes à caractère essentiellement promotionnel, dans laquelle interviennent le réalisateur et quelques acteurs, mais qui ne nous apprend pas grand chose…